Quid de la procédure en cas d’attribution irrégulière d’un marché public pour méconnaissance des droits de propriété intellectuelle ?
Saisi par le Tribunal Administratif, le tribunal des conflits répond à cette question, mêlant à la fois la règlementation de la commande publique et celle relative aux droits de propriété intellectuelle. Par un arrêt du 9 décembre 2019, il précise que le juge administratif n’est pas compétent pour apprécier si une offre est irrégulière en tant qu’elle méconnaîtrait les droits de propriété intellectuelle du candidat évincé. Autrement dit, seul le tribunal judiciaire est compétent pour connaître de la demande tendant à l’annulation d’un marché public formée par un concurrent évincé, dans le cas où l’un des moyens d’irrégularité est tiré de la méconnaissance de ses droits de propriété intellectuelle.
En revanche, la juridiction administrative a seule compétence pour se prononcer, ensuite, sur les autres moyens d’annulation et, si elle constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, pour en apprécier l’importance et les conséquences.
Explications :
En l’espèce, un groupement de coopération sanitaire a engagé une procédure de passation d’un marché à bons de commande. Une société X a saisi le juge du référé précontractuel d’une demande tendant à l’annulation partielle de la procédure d’attribution. Cette demande a été rejetée et le marché a été conclu avec une société Y. La société X saisit la juridiction administrative d’une requête aux fins d’annulation de ce contrat. Elle invoque divers manquements commis par le pouvoir adjudicateur à l’occasion de sa passation. Elle soutient que l’offre retenue était irrégulière, le produit proposé par la société attributaire contrefaisant le brevet dont elle est titulaire. Le tribunal administratif a renvoyé l’affaire devant le Tribunal des conflits.
Le Tribunal des conflits rappelle que le Tribunal judiciaire est seul compétent pour connaître des litiges relatifs aux brevets d’invention. Pour rappel, en effet, l’article L. 615-17, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle dispose que « les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d’invention, y compris dans les cas prévus à l’article L. 611-7 ou lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire (…) ». Cette règle déroge aux principes gouvernant la responsabilité des personnes publiques ainsi qu’à la règle de compétence prévue par la loi Murcef (L. n° 2001-1168, 17 mai 2001, art. 2). Cette loi a confirmé l’existence d’un bloc de compétence au profit du juge judiciaire pour les différents droits de propriété intellectuelle.
Le Tribunal précise cependant qu’il en va différemment lorsque sont en jeu les principes qui fondent la séparation des autorités administratives et judiciaires. Ainsi, il rappelle que si la juridiction saisie d’une demande tendant à la réparation d’une atteinte au droit moral d’un architecte par l’exécution de travaux sur un ouvrage public doit statuer sur l’existence de cette atteinte et des préjudices invoqués, seule la juridiction administrative est compétence pour ordonner la réalisation de travaux sur l’ouvrage public (T. confl., 5 sept. 2016, n° C4069).
Le Tribunal en conclut que pour un litige tendant à l’annulation d’un contrat administratif et à l’indemnisation du préjudice résultant de l’éviction irrégulière, la juridiction administrative est seule compétente. Cependant, en cas de contestation sérieuse et sous réserve que cette appréciation soit nécessaire à la solution du litige, la juridiction administrative doit saisir, à titre préjudiciel, le tribunal judiciaire compétent afin qu’il soit statué sur l’existence de la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle invoqués par la société demanderesse.