Le preneur à bail commercial peut-il introduire une action tendant à voir réputée non-écrite la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction contenue dans un avenant qu’il a lui-même rédigé ?
Les faits :
Le propriétaire d’une maison d’habitation située au sein d’une résidence de tourisme classée avait donné à bail commercial son bien à une société hôtelière.
Un premier bail était conclu le 4 novembre 1997. Puis, un second bail était conclu sur le même bien entre les mêmes parties le 23 juin 2009, pour une durée de neuf ans.
À cette même date, le 23 juin 2009, la locataire gestionnaire rédigeait et proposait un avenant dans lequel les parties convenaient que l’indemnité d’éviction éventuellement due par le bailleur serait dégressive tous les trois ans, pour devenir nulle au bout de neuf ans.
Au terme du bail, le propriétaire faisait délivrer par acte d’huissier un congé sans offre de renouvellement et sans indemnité d’éviction « conformément à l’avenant du 23 juin 2009 ». La locataire remettait alors les clés du bien au propriétaire bailleur. Toutefois, elle assignait ce dernier aux fins de le voir condamner à lui payer la somme de 96.000 € au titre d’indemnité d’éviction.
Cette situation fait naître la question suivante : le preneur d’un bail commercial peut-il se prévaloir de l’action tendant à voir réputée non écrite la clause stipulant la renonciation à l’indemnité d’éviction contenue dans un avenant qu’il a lui-même rédigé ?
Le droit :
La Cour d’appel de Pau, le 21 novembre 2023, répond par la positive à cette question en déclarant non-écrite la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction contenue dans l’avenant au bail.
La clause de renonciation à l’indemnité d’éviction au profit du locataire, rédigée dans un avenant au bail commercial, est désormais réputée non-écrite.
Cette solution de la Cour d’appel de Pau du 21 novembre 2023 peut surprendre en quatre points :
Premièrement, cette solution va à l’encontre du principe issu de la décision de la Cour de cassation en date du 4 mai 2006, n°05-15.151, selon lequel la renonciation librement consentie à l’indemnité d’éviction, si elle est postérieure à la naissance de ce droit, est admise. Dès lors, la distinction antérieure entre la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction dans le bail initial, contraire à l’ordre public, et dans un avenant au bail, jusqu’alors admise, disparaît. Et ce au préjudice du bailleur, profane, alors que c’est pourtant le locataire, professionnel des baux commerciaux, qui a imaginé, proposé et rédigé la clause litigieuse !
Deuxièmement, la Cour d’appel ne reconnait pas en l’espèce le caractère dolosif des manœuvres de la locataire. Pourtant, dans une affaire similaire, la Cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 10 janvier 2017, n°14/06714, avait jugé que l’introduction avec malignité dans le contrat de bail d’une clause par laquelle le locataire feignait de renoncer par avance à son droit à l’indemnité d’éviction, sachant pertinemment que cette clause était sans portée et qu’elle était pour le bailleur une condition substantielle du contrat, constituait une manœuvre dolosive entachant de nullité le contrat de bail.
Troisièmement, la Cour d’appel ne reconnait également pas la violation de l’équilibre du contrat. Toutefois, dans la décision du 10 janvier 2017, la Cour d’appel de Montpellier avait retenu que la nullité de la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction constituait une atteinte à l’équilibre des obligations réciproques constituant l’économie générale du contrat.
Quatrièmement, la Cour d’appel ne reconnait pas le principe selon lequel en droit nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Au contraire, elle reconnait à la locataire la faculté de se prévaloir a posteriori du caractère non-écrit d’une clause dont elle est l’auteure et qui excluait son droit à l’indemnité d’éviction.
En conclusion, cette décision est une sanctification (contestable) du droit à l’indemnité d’éviction pour le preneur au bail commercial.
Par Me François Morabito, Avocat associé