L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris (CA de Paris, Pôle 2, Chambre 2, 8 janvier 2016, n°14/10881) peut être résumé de la manière suivante :
La chevelure d’une adolescente s’est embrasée lors de la fête d’anniversaire qui avait été organisée pour elle par la mère de l’une de ses amies. La mère, organisatrice de la fête, est responsable des conséquences dommageables de l’accident. Elle avait installé une tente dans le jardin et disposé de part et d’autre deux flambeaux d’une hauteur de 1 m 20 environ qui étaient plantés dans le sol. La chevelure de l’adolescente victime s’est embrasée après qu’elle ait saisi la torche pour mimer un jeu de combat à l’épée avec un autre invité. L’organisatrice de la fête, gardienne des torches, a commis une négligence en alimentant la torche avec du white spirit, produit inflammable et volatile alors que la notice prévoyait l’usage de l’huile de paraffine, liquide inflammable mais visqueux. L’organisatrice de la fête avait conscience de la dangerosité du détournement du liquide white spirit de sa destination de dissolvant puisqu’elle prétend, sans toutefois le prouver, qu’elle avait interdit aux enfants d’y toucher. Elle ne démontre pas le caractère imprévisible du fait de la victime. En déterrant les torches pour jouer avec, les enfants, qui n’avaient pas eu des informations utiles sur la dangerosité du produit utilisé, n’ont pas pu mesurer les risques qu’ils prenaient. La mère, organisatrice de la fête, est condamnée à réparer le préjudice corporel subi par la victime qui présente de graves brûlures.
Cet arrêt est intéressant en ce qu’il illustre plusieurs aspects de la réparation du préjudice corporel d’un grand brûlé :
- Il concerne des circonstances d’un accident qui se retrouvent dans de grandes proportions d’accidents, à savoir qu’une personne va alimenter un foyer avec un liquide inflammable inadapté (essence, white spirit, alcool…) afin de le maintenir allumé, ce qui va malheureusement lui provoquer de graves brûlures ou en provoquer à des tiers,
- Le fondement juridique visé est classique en matière de brûlures, il s’agit de la responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde,
- La notion de garde de la chose y est appliquée,
- La tentative pour le responsable de l’accident de s’exonérer de sa responsabilité en invoquant le fait fautif de la victime, est également un aspect intéressant de cette décision.
En ce qui concerne le fondement juridique utilisé, il s’agit de l’article 1242 du Code civil (ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil).
Ce fondement concerne toute chose à condition qu’elle ait été l’instrument du dommage. Il faut donc établir un rapport certain et direct de causalité entre la chose et le dommage. À cette fin, la victime doit prouver l’intervention matérielle de la chose et son rôle causal et les témoignages écrits sont les moyens de preuve les plus souvent utilisés.
Lorsqu’il y a eu contact entre la chose (ici le flambeau) et le siège du dommage (ici la victime) et si la chose était en mouvement lors de l’accident, la victime doit seulement prouver l’intervention matérielle de la chose : la causalité est présumée. La preuve de l’absence de faute du gardien de la chose est inopérante et le fait du tiers ne peut exonérer le gardien en totalité qu’à condition d’être imprévisible et irrésistible.
Lorsqu’il n’y a pas eu de contact entre la chose et le siège du dommage, la victime doit établir que la chose a eu un rôle causal malgré l’absence de contact. La preuve peut découler d’une faute d’imprudence du gardien, d’une position anormale de la chose, ou d’une défectuosité de cette dernière.
Il en est de même lorsque la chose n’est pas en mouvement. La victime doit démontrer une anormalité touchant à l’état de la chose, de sa position ou encore son caractère dangereux (liquide gazeux qui explose, aérosol…).
Pour apprécier l’anormalité de la chose, le juge considère divers éléments : l’emplacement de la chose, sa dimension, sa visibilité ainsi que le comportement de la victime. En outre, le dommage peut ne pas être dû à une anormalité liée à la chose mais à un manque d’attention de la victime.
En l’espèce, on doit considérer que les torches n’étaient pas en mouvement, de sorte qu’il convenait de démonter l’anormalité de la chose. Celle-ci résultait du fait que la mère avait utilisé du white spirit pour alimenter les torches, alors que la notice prévoyait l’usage de l’huile de paraffine pour faire fonctionner le flambeau.
Pour déterminer le responsable de l’accident, il faut démontrer qui était gardien de la chose. Depuis l’arrêt Franck de 1941, la garde suppose de maîtriser l’usage, le contrôle et la direction de cette chose et le gardien n’est donc pas forcément le propriétaire de la chose.
Il peut cependant exister un transfert de garde de la chose. La garde peut être transférée à l’emprunteur de la chose mais ce ne sera pas le cas si l’emprunt a été réalisé pour une durée limitée.
En l’espèce, la mère avait la garde des flambeaux qu’elle avait installé dès lors qu’elle disposait de leur usage, de leur contrôle et de leur direction, et ce, en dépit du fait que l’adolescente victime s’était saisi temporairement de ceux-ci pour jouer avec.
La cause exonératoire de responsabilité du gardien de la chose, suppose que l’événement n’ait pu être prévu par le gardien, qu’il soit irrésistible, insurmontable dans ses effets et qu’il lui soit extérieur. Cette exigence exclut le vice propre de la chose, même indécelable. Les causes exonératoires sont la force majeure, le fait du tiers ou le fait de la victime. La faute de la victime ne présentant pas les caractères de la force majeure peut entraîner une exonération partielle du gardien.
En l’espèce, la gardienne de la torche à l’origine des graves brûlures de la victime évoquait la faute de cette dernière qui avait déterré les torches pour jouer avec alors qu’elle avait interdit aux enfants d’y toucher. La faute de la victime n’a pas été retenue dès lors que cette dernière n’avait pas eu des informations utiles sur la dangerosité du produit utilisé et n’avait donc pas pu mesurer les risques qu’elle prenait.
Pour la SCP GOBERT & ASSOCIES
Olivier BAYLOT
Avocat Associé