Cette dernière décennie, les Grands Ports Maritimes (anciennement Port Autonome) ont été le siège de mouvements de grève, s’accompagnant en général du blocage des portes d’accès d’un ou plusieurs terminaux. A la suite de ces mouvements, certaines sociétés commerciales ont recherché la responsabilité des établissements portuaires en leur qualité de commettant répondant des fautes commises par leurs préposés à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.
Elles invoquaient plus précisément le fait que, pendant un mouvement social, les préposés du Port qui étaient alors en grève, les ont empêchées d’exercer leur activité de transports routiers de conteneurs en participant au blocage des accès de l’enceinte portuaire, domaine public portuaire géré et exploité par les Grands Ports Maritime où opèrent des entreprises privées de manutention.
A cet égard, les sociétés demanderesses invoquaient principalement deux arguments.
1/ Elles faisaient valoir la compétence des juridictions judiciaires en arguant uniquement du statut d’établissement public industriel et commercial d’un grand port maritime.
Cependant, il convient de rappeler le véritable statut d’un Grand Port Maritime.
Le législateur, lorsqu’il a créé les ports autonomes (1), n’a pas jugé utile d’en préciser la nature. C’est donc aux juges qu’il est revenu le soin de préciser la nature de l’établissement public en fonction de la nature des services que cet organisme gère.
Le cas le plus significatif de cette faculté prétorienne est celui du Fonds d’Orientation et de Régulation des Marchés Agricoles (FORMA) qui, bien que qualifié par le législateur d’établissement public à caractère industriel et commercial, exerce, en réalité, une activité dont la nature administrative a été explicitement affirmée (Tribunal des Conflits, 24 juin 1968, « Société d’approvisionnements alimentaires et Société distilleries bretonnes », Rec. p. 801, concl. GEGOUT).
Ainsi, quand existe un éventuel conflit de qualifications, la solution contentieuse retenue fait toujours prévaloir la nature du service sur celle de l’établissement, les caractéristiques de l’activité sur celles de l’institution qui lui sert de cadre.
A cet égard, la solution de la double nature juridique consacrée pour l’Office national de la Navigation (2) a été également appliquée aux Ports autonomes et, par suite, aux Grands Ports Maritimes.
La jurisprudence l’a rappelé à plusieurs reprises (3). Le juge a précisé que les Ports autonomes assurent concurremment une mission de service public à caractère administratif, en ce qui concerne notamment l’aménagement, l’entretien et la police des aménagements et accès du port et une activité de nature industrielle et commerciale en ce qui concerne en particulier l’exploitation des outillages du Port.
C’est ainsi que, dans un arrêt rendu en date du 28 janvier 2010, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a retenu à bon droit que le Port « participe en tant que gestionnaire ou administrateur d’un ouvrage public au sens de l’article L. 111-1 du Code des ports maritimes à l’organisation même du service public portuaire en gérant et exploitant le terminal à conteneur /…/ ; que le Port Autonome de Marseille assure une mission de service public à caractère administratif pour ce qui concerne la police des aménagements et accès de l’enceinte portuaire ».
Elle considère donc qu’il s’agit bien de l’organisation même du service public portuaire qui est remise en cause ; le Port assurait à l’occasion des actes qui lui sont reprochés la gestion d’un service public administratif et ne se trouvait pas dans l’exercice d’une mission de service public industriel et commercial.
En conséquence, les juges d’appel ont décidé que « les actes relatifs à l’organisation d’un service public (y compris, au demeurant, celle d’un service public industriel et commercial), qui sont susceptibles d’engager la responsabilité de la personne publique gestionnaire, ont un caractère administratif et relèvent donc, pour leur contentieux, des juridictions de l’ordre administratif ».
Par cet arrêt, la Cour d’Aix-en-Pce confirmait sa jurisprudence en la matière (voir également CA Aix-en-Pce, 19 nov. 2009, Helfer Océanic).
2/ Autre point intéressant, les sociétés demanderesses sollicitaient la condamnation de l’établissement public au titre de l’article 1384 al. 5 du Code civil.
Certes la responsabilité du commettant est engagée en cas de faute du préposé commise au temps et au lieu de son travail, à l’occasion de ses fonctions et avec le matériel mis à sa disposition.
Or tel n’est pas le cas en l’espèce. Au moment des blocages, les salariés de l’établissement portuaire étaient en grève.
En période de grève, on sait que le contrat de travail est suspendu, ce qui signifie que toutes les obligations des parties respectives sont également suspendues. A cet égard, si un accident survient pendant la grève, ce sera un accident de droit commun (Cass. soc., 12 mai 1964, n° 63-10.882).
L’employeur n’est plus le commettant du salarié ; si le gréviste commet un dommage à un tiers, l’employeur ne sera pas responsable au nom de son salarié. En cas de grève, c’est la responsabilité délictuelle qui est mise en jeu.
Malheureusement, on ne peut que regretter le fait que, dans les précédentes décisions citées, les Juges d’appel n’aient pas souhaité se prononcer sur ce moyen.
En effet, la Cour a déclaré « indifférente » la discussion sur la responsabilité du Grand Port Maritime en ce qu’elle pourrait être engagée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 du Code Civil.
Cependant, et à notre avis, la responsabilité d’un Grand Port Maritime, sur le fondement susvisé, ne pouvait en aucune façon être retenue.
En effet, à supposer même que la Cour ait retenu sa compétence, il apparait indiscutable que l’exonération de responsabilité devait, de toute façon, être retenue car le dommage provient de manière directe ou encore par un lien de causalité évident, des voies de fait des salariés de l’établissement public portuaire.
Or cet établissement est impuissant à mettre un terme à ces voies de fait, le maintien de l’ordre incombant en toute hypothèse aux autorités de l’Etat.
En effet, le juge administratif l’a constamment rappelé dans ses décisions :
« Considérant en premier lieu qu’aux termes de l’article L.111-2 du code des ports maritimes « le port autonome est chargé de l’exploitation, de l’entretien et de la police, au sens du livre III du présent code, du port et de ses dépendances, et de la gestion du domaine immobilier qui lui est affecté » ; que ces dispositions n’ont pas pour objet et ne peuvent avoir pour effet de transférer au port autonome les pouvoirs de police qui, en cas de troubles graves, ressortissent aux autorités chargées du maintien de l’ordre ; qu’ainsi, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à la condamnation pour faute du port autonome du Havre » (CE, 25 juillet 1986, req. n° 60961).
Ainsi, les textes et la jurisprudence sont clairs : en cas de troubles de la nature de ceux susvisés, seule la responsabilité de l’État peut être engagée ; c’est à l’État qu’il appartient de faire cesser ces troubles graves.
La compétence de l’ordre administratif admise, gageons que la sagacité du Juge administratif ne manquera pas, le cas échéant, d’appréhender avec justesse et pragmatisme cette problématique forte intéressante.
Pour la SCP GOBERT & ASSOCIES
Avocat Associé