La loi du n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 prévoit à son article 11 d’autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020.
Concernant les marchés publics, le même article 11 autorise le Gouvernement à adapter par ordonnance « les règles de passation, de délais de paiement, d’exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ».
Dès le 25 mars, le Gouvernement a adopté l’ordonnance n° 2020-319 « portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 ». Ce texte dérogatoire est applicable jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée d’une durée de deux mois.
Le Gouvernement a également adoptée deux autres ordonnances susceptibles d’avoir un impact sur les contrats de la commande publique : l’une porte sur la prorogation des délais et l’autre porte sur l’organisation de la juridiction administrative pendant la crise sanitaire (ord. n°2020-305).
I. L’aménagement des règles de passation des marchés publics à l’heure du Covid-19
Deux cas sont expressément prévus pour faire face à la crise sanitaire.
Le premier concerne les besoins urgents d’une personne publique.
On sait déjà qu’en cas de situation d’urgence, le Code de la commande publique permet de réduire les délais minimums de réception des candidatures et des offres pour certaines procédures formalisées et certains acheteurs (articles R. 2161-2 et suivants du CCP).
Rappelons qu’une situation d’urgence dite « simple » doit répondre à trois conditions cumulatives :
– le besoin doit être satisfait rapidement (en général, en quelques semaines) ;
– l’urgence est liée à des circonstances particulières qui ne sont pas liées à l’acheteur ;
– et les délais normaux de procédure ne peuvent matériellement pas être pratiqués.
Bien entendu, la crise sanitaire liée au Covid-19 va générer de ce type de situation : Par exemple, tous les retards dans l’exécution des marchés publics (chantier à l’arrêt, prestations non exécutées…) pourraient justifier qu’il soit urgent de passer certains marchés à la fin de l’épidémie.
Mais, pour gérer le moment de la crise, la réduction des délais n’est pas suffisante. Dans un communiqué du 18 mars 2020, la Direction des Affaires Juridiques a précisé que la dérogation prévue à l’article R. 2122-1 du CCP qui autorise une personne publique à s’affranchir des règles de passations en cas d’ « urgence impérieuse », trouvait à s’appliquer pour la passation de marchés publics conclus pour répondre à des besoins résultant de la crise sanitaire.
Le second cas a trait aux procédures en cours.
L’ordonnance n°2020-319 apporte des précisions sur la gestion des procédures de passation en cours. Prenant appui sur la jurisprudence administrative ayant permis le report du délai de remise des candidatures et des offres, l’ordonnance autorise les personnes publiques à adapter les délais et les modalités des procédures de mise en concurrence afin de permettre aux candidats de présenter leur candidature dans le respect du principe d’égalité de traitement.
Elle dispose que :
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« sauf lorsque les prestations objet du contrat ne peuvent souffrir aucun retard, les délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours sont prolongés d’une durée suffisante, fixée par l’autorité contractante, pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner » (art. 2).
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« Lorsque les modalités de la mise en concurrence prévues en application du code de la commande publique dans les documents de la consultation des entreprises ne peuvent être respectées par l’autorité contractante, celle-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats » (art. 3).
En principe, le report du délai de remise des candidatures ou des offres nécessite la publication d’un avis rectificatif, la modification du règlement de consultation et la modification des délais contractuels impactés par le report comme la date de début d’exécution des prestations.
Bien sûr, en cas d’impossibilité de poursuivre la procédure, la personne publique pourra toujours déclarer celle-ci sans suite et reprendre une nouvelle procédure avec les candidats à l’issue de la crise sanitaire (art. R. 2185-1 et 2185-2 du CCP).
En terme de contentieux, la prorogation des délais pourrait permettre de sauvegarder le délai de recours contentieux pour les candidats évincés de procédures de passation, notamment pour les référés précontractuels. Toutefois, la suspension du délai de recours contentieux pourrait également paralyser l’action des personnes publiques, celles-ci n’étant plus autorisées à signer leurs marchés une fois qu’un référé précontractuel a été introduit, jusqu’à l’intervention de l’ordonnance du juge des référés. Enfin, pendant toute la durée de la crise sanitaire, le point de départ des délais impartis au juge pour statuer est reporté au premier jour du deuxième mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (ord. n°2020-305).
II. L’aménagement des règles d’exécution des marchés publics à l’heure du Covid-19
La crise sanitaire étant susceptible de rendre difficile, voire impossible, l’exécution des marchés publics, le gouvernement a décidé de reconnaitre la crise sanitaire comme un « cas de force majeure » pour l’ensemble des marchés publics.
Cette qualification a pour objet de permettre aux entreprises de ne pas se voir infliger de pénalités de retard et de solliciter la résiliation du marché public en cas d’impossibilité d’exécuter les prestations…
Quant à l’ordonnance n°2020-319, celle-ci prévoit 5 situations sur la gestion de l’exécution des marchés publics :
Premièrement, que les contrats arrivés à terme pendant la période de crise peuvent être prolongés par avenant au-delà de la durée prévue par le contrat lorsque l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre.
Dans le cas d’un accord-cadre, cette prolongation peut s’étendre au-delà de la durée légale de 4 ans (7 ans pour les marchés de défense ou de sécurité).
Deuxièmement, que lorsque le titulaire ne peut pas respecter le délai d’exécution d’une ou plusieurs obligations du contrat ou que cette exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive, ce délai est prolongé jusqu’à la fin de la crise, augmentée d’une durée de deux mois, sur la demande du titulaire avant l’expiration du délai contractuel ;
Troisièmement, que lorsque le titulaire est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, notamment lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive :
a) Le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif ;
b) L’acheteur peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, nonobstant toute clause d’exclusivité et sans que le titulaire du marché initial ne puisse engager, pour ce motif, la responsabilité contractuelle de l’acheteur ; l’exécution du marché de substitution ne peut être effectuée aux frais et risques de ce titulaire ;
Quatrièmement, que lorsque l’annulation d’un bon de commande ou la résiliation du marché par l’acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé, par l’acheteur, des dépenses engagées lorsqu’elles sont directement imputables à l’exécution d’un bon de commande annulé ou d’un marché résilié;
Cinquièmement, que lorsque l’acheteur est conduit à suspendre un marché à prix forfaitaire dont l’exécution est en cours, il procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat. A l’issue de la suspension, un avenant détermine les modifications du contrat éventuellement nécessaires, sa reprise à l’identique ou sa résiliation ainsi que les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l’acheteur.
L’ordonnance n°2020-319 souligne expressément que les titulaires de contrat public devront dans leurs échanges avec les personnes publiques s’assurer aux préalables qu’ils ne bénéficient pas de conditions plus favorables dans leur contrat que celles prévues par l’ordonnance précitée.
SCP GOBERT & ASSOCIES
Nicolas FOUILLEUL
Avocat associé