Champ d’application de la responsabilité décennale
– Du nouveau pour les éléments dissociables et les fournisseurs de matériau –
Cass. 3ème civ., 14 septembre 2017, n°16-17.323
Cass. 3ème civ., 28 février 2018, n°17-15.962
En application de l’article 1792-2 du Code civil, une garantie décennale s’applique lorsque les désordres affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage, lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité de fondation, d’ossature, de clos et de couvert. La loi Spinetta, datant du 4 janvier 1978, imposent en effet aux constructeurs intervenant sur un chantier de souscrire une assurance décennale.
Mais, selon les dispositions de l’article 1792-3 du Code civil, les autres éléments font, quant à eux, « l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception ».
Ainsi, certains travaux intérieurs quand ils sont indissociables du bâtiment ou du gros œuvre sont garantis 10 ans : une cuisine encastrée, un carrelage, une cheminée scellée, un chauffage dont les canalisations sont encastrées, etc.
Un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.
I. L’application de la responsabilité décennale aux équipements dissociables
Récemment, la Cour de cassation a jugé que « les désordres affectant des éléments d’équipement dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination » (Cass. 3ème civ., 14 septembre 2017, n°16-17.323).
C’est ainsi que l’impossibilité d’utiliser normalement les installations sanitaires imputables à l’insuffisance des pentes et à un parcours comportant de nombreux coudes sont des désordres qui affectent l’immeuble dans ses éléments d’équipement mais qui le rendent impropre à sa destination et entrainent donc l’application de la responsabilité décennale (Cour d’appel de Paris, Ch. 19 sect. A, 27/01/1999).
La Cour de cassation a donc étendu le champ d’application de la responsabilité décennale instituée par la loi Spinetta du 4 janvier 1978, aux éléments d’équipements dissociables.
II. L’assimilation du fournisseur au constructeur susceptible d’engager sa responsabilité décennale
40 ans après son adoption, la Cour de cassation étend encore le dispositif de la loi Spinetta, cette fois, aux fournisseurs de matériau (Cass. 3ème civ., 28 février 2018, n°17-15.962).
En effet, la Cour de cassation a estimé que « la société Lafarge n’était pas seulement intervenue comme fournisseur du matériau, mais en qualité de constructeur au sens de l’article 1792 du Code civil ».
Pour statuer ainsi, elle a relevé que « la société, dont le préposé, présent sur les lieux lors du coulage des deux premières trames, avait donné au poseur des instructions techniques précises, notamment quant à l’inutilité de joints de fractionnement complémentaires, auxquelles le maçon, qui ne connaissait pas les caractéristiques du matériau sophistiqué fourni, s’était conformé, avait ainsi participé activement à la construction dont elle avait assumé la maîtrise d’œuvre ».
Désormais, l’importance des conseils délivrés par le fournisseur de béton justifierait que son contrat de vente se transforme en contrat de maîtrise d’œuvre permettant ainsi d’engager sa responsabilité décennale.
Il convient de limiter la portée de cet arrêt. Ici, en effet, le maître d’ouvrage avait directement commandé le béton auprès du fournisseur, ce qui est rare. Or on sait que pour que la responsabilité décennale soit retenue, il faut avoir un lien contractuel avec le maître d’ouvrage. Ainsi, lorsque les matériaux ont été commandés par un locateur d’ouvrage, la responsabilité décennale du fournisseur ne pourra pas être engagée, quelle que soit l’importance des conseils qu’il a délivrés.
Toutefois, les conséquences peuvent ne pas être négligeables dans la mesure où le fournisseur sera considéré comme ayant participé à la construction de l’ouvrage. Son contrat ne sera donc qualifiées de contrat de vente de contrats d’entreprise ou, à tout le moins, de contrats mixtes.
Selon la Cour de Cassation, en effet, la seule condition est d’avoir, par l’importance des conseils donnés, participait à la construction de l’ouvrage. Ce qui néanmoins restreint l’application de cette jurisprudence aux produits dont la pose est complexe.
En tout état de cause, il convient de conseiller aux fournisseurs de matériau de souscrire une assurance décennale afin d’éviter de se retrouver sans couverture, sachant qu’il s’agit d’une police obligatoire dont le défaut est sanctionné pénalement et constitue une faute du gérant détachable de ses fonctions.
A bon entendeur…
Par Jacques GOBERT et Nicolas FOUILLEUL
Avocats associés membres de la SCP GOBERT & ASSOCIES
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