APPEL A L’ABANDON DE LOYER : crédit d’impôt, une vraie contrepartie ?
Une première analyse révélant d’importants doutes sur l’opportunité d’adhérer à cette proposition du gouvernement
Annoncée lors de la « Conférence de presse de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance, sur les mesures d’urgence économiques face à l’épidémie de Covid-19, à Paris le 29 octobre 2020 », la promesse du Gouvernement de mettre en place un crédit d’impôt au profit des bailleurs commerciaux consentant à leurs preneurs des abandons de loyers a été depuis précisée dans de nombreux médias.
Selon le ministre « [il sera intégré] dans le projet de loi de finances pour 2021 (« PLF2021 ») un crédit d’impôt pour inciter les bailleurs à annuler une partie de leurs loyers. Cette mesure bénéficiera aux entreprises de moins de 250 salariés fermées administrativement ou appartenant au secteur HCR ([i]) »
Pour autant, bien que l’Assemblée Nationale débatte actuellement du PLF2021, aucun amendement proposant la création de ce crédit d’impôt n’a été déposé.
· Rappel sommaire : Fonctionnement du crédit d’impôt
« Le crédit d’impôt correspond à une somme déduite de votre impôt sur le revenu ou de votre impôt sur les bénéfices réalisés par les sociétés (« IR » ou « IS » ci-après). Si le crédit d’impôt est supérieur au montant de l’impôt, le surplus (ou la totalité si vous n’êtes pas imposable) donne lieu à remboursement par la Direction générale des Finances publiques.
Le crédit d’impôt doit être distingué de la réduction d’impôt correspond également à une somme déduite de votre IR ou IS. Cependant, contrairement au crédit d’impôt, lorsque la réduction d’impôt est supérieure au montant de l’impôt dû, il ne peut y avoir de remboursement (votre impôt est alors ramené à 0 €) ».([ii])
Attention toutefois, le Code Général des Impôts (CGI) prévoit un mécanisme de plafonnement global des avantages fiscaux :
Le plafonnement global des avantages fiscaux à l’impôt sur le revenu (IR) est fixé par l’article 200-0 A du Code général des impôts. Il consiste à plafonner, pour le calcul de l’impôt sur le revenu, le montant global de l’avantage en impôt procuré par certains avantages fiscaux. Ceux-ci peuvent prendre la forme de réductions ou de crédits d’impôt.
Depuis la loi de finances pour 2013, la plupart des dispositifs sont soumis à un plafonnement global de 10 000 €. Certains bénéficient d’un plafond spécifique de 18 000 €.
Ce qui signifie que le bénéfice promis pourrait être limite par ce plafonnement des avantages fiscaux.
Ainsi, toutes conditions d’éligibilité étant par ailleurs remplies, le bénéfice réel pourrait être bien inférieur aux 30% des loyers abandonnes.
Pour en savoir plus sur le mécanisme du plafonnement: economie.gouv.fr
· Les précisions apportées par M. Le Maire et ses annonces :
A l’occasion d’une entrevue accordée à BFMTV le 9 novembre 2020, le Ministre de l’économie, des finances et de la relance a apporté de nouvelles précisions quant aux modalités de ce crédit d’impôt :
L’Etat, assure Bruno Le Maire, « prendra à sa charge 30% des loyers non perçus par les bailleurs en accordant des crédits d’impôts. En revanche, le gouvernement ne compte pas contraindre les bailleurs ».
Lors de la conférence de presse sur la lutte contre la Covid-19 menée par le Premier ministre le 12 novembre, M. Le Maire a pu apporter de nouvelles précisions sur les modalités et taux de ce projet de crédit d’impôt :
« Nous mettrons en place un dispositif simple, massif et nouveau pour les loyers des commerçants »
“Nous mettrons en place dans le Budget 2021 un crédit d’impôt de 50% du montant du loyer abandonné pour tous les bailleurs qui renoncent au loyer du mois de novembre pour toutes les entreprises qui ont jusqu’à 250 salariés et qui sont fermées”
“pour les entreprises de 250 à 5.000 salariés, ce dispositif s’appliquera également mais dans la limite du 2/3 du montant du loyer*”([iii])
*Soit un crédit d’impôt de 33% du montant abandonné à des entreprises de 250 à 5.000 salariés.
· Sur le « projet de dispositif » : le diable se cache dans les détails ?
Si la presse présente ce dispositif comme une mesure attirante et d’application large ([iv]), l’analyse par un fiscaliste des premières publications du ministère de l’économie révèle que, derrière les titres accrocheurs, ce dispositif pourrait être conditionné à des situations (trop) strictement définies. Partant, l’administration fiscale pourrait en refuser le bénéfice à nombre de bailleurs trop vite échaudés par ces effets d’annonce.
Seul Le Monde du 30 octobre semble ne pas s’y tromper pour qui sait lire entre les lignes :
« Les propriétaires qui renonceront à « au moins un mois de loyer » entre octobre et décembre pour certaines entreprises bénéficieront d’un crédit d’impôt, a annoncé le ministre de l’économie.
Les entreprises concernées sont celles de « moins de 250 salariés » qui « sont fermées administrativement » ou appartiennent « aux secteurs de l’hôtellerie, des cafés, de la restauration, de la culture », a précisé M. Le Maire. Les bailleurs pourront bénéficier d’un crédit d’impôt représentant « 30 % du montant des loyers abandonnés », a-t-il détaillé. »
Nuance est importante : seuls les abandons accordés à « certaines entreprises » (voir conditions ci-après) ouvriront droit au crédit d’impôt !
Or si l’abandon est demandé aux bailleurs dans les mois qui viennent, ce n’est qu’à l’occasion de leur déclaration de revenus 2021 qu’ils feront valoir leur crédit d’impôt
(Et pourraient à cette occasion se voir opposer un refus !)
Sur le site du Ministère de l’économie, Economie.gouv.fr, on peut lire que :
« Le Gouvernement a pris l’engagement d’introduire dans le projet de loi de finances pour 2021 un crédit d’impôt visant à inciter les bailleurs à participer au soutien aux entreprises les plus affectées par les mesures restrictives mises en œuvre depuis le 30 octobre 2020.
Le crédit d’impôt bénéficiera à tous les bailleurs, personnes physiques et personnes morales, quel que soit leur régime fiscal, qui abandonnent au moins un mois de loyer dû par des entreprises de moins de 250 salariés, fermées administrativement ou appartenant au secteur de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration.
Ce crédit d’impôt de 30% s’appliquera aux montants d’abandons de loyers consentis sur la période d’octobre à décembre 2020. »
· Premières analyses
o Un projet sans disposition concrète
Il convient dans un premier temps de préciser que ce dispositif est à l’état de projet du gouvernement. Ainsi, rien ne permet d’affirmer s’il sera effectivement mis en place, et le cas échéant, à quelles conditions.
Ce dispositif intègrera le projet de loi de finances pour 2021 (ou « PLF 2021 ») actuellement débattu à l’assemblée nationale en première lecture.
Le dossier législatif du PLF2021 et les rapports déposés à l’Assemblée nationale ne contiennent pas, au 13 novembre, de dispositions portant sur cet « engagement de mise en place d’un crédit d’impôt pour les bailleurs ».
En conséquence, on ne peut commander à la plus grande prudence tant que les dispositions concrètes de cet « engagement » ne seront pas communiquées par le Gouvernement.
o La double-condition portant sur le bénéficiaire de l’abandon
- Une condition tenant aux effectifs du bénéficiaire de l’abandon:
Le bénéfice du projet de crédit d’impôt ne concernera que les abandons de loyer consentis aux entreprises de moins de 250 salariés.
- Une condition tenant à la nature de l’activité pratiquée dans les locaux donnés à bail :
Parmi ces entreprises « potentiellement » concernées, seules sont visées celles qui satisfont à l’une des conditions alternatives suivantes :
- Celles qui appartiennent au secteur HCR (Hôtellerie, café, restauration) ;
Des précisions devront être apportées sur ce point. Notamment celle de savoir si les activités para hôtelière entreront dans ce dispositif.
Rien ne permet pour l’heure de dire que les résidences de tourisme pourraient être concernées.
- Celles qui sont fermées administrativement.
Ce point, en revanche, appelle une prudence toute particulière. En effet, les commerces de proximité sont certes interdits au public mais ne sont pas fermés administrativement : on les autorise à pratiquer du « clic and collect ».
En conséquence, il conviendra de se montrer extrêmement prudent et de faire le distinguo entre les entreprises fermées en application d’une mesure de police administrative éligibles, et celles dont l’activité est simplement régulée par une mesure de police administrative (ex : interdiction de recevoir des clients appliquée aux commerces de biens « non-essentiels » ≠ mesure de fermeture) qui pourraient bien être exclues de ce dispositif.
Nous sommes très réservé sur l’interprétation qui sera faite de ces mesures.
o Les conditions tenant au montant abandonné
L’annonce du site économie.gouv.fr précise enfin que l’abandon devra porter sur « au moins un mois de loyer ».
- Condition tenant à la nature de la créance « abandonnée » au profit du preneur éligible :
Ainsi, on peut déjà relever que le crédit d’impôt pourrait ne pas inclure dans son assiette les charges locatives ou autres sommes mises à la charge du preneur par le contrat de bail, le loyer étant classiquement distingué des paiements « accessoires ».
- Condition tenant au montant minimal abandonné
« Au moins un mois de loyer ». La formulation employée, lue au regard de la période d’application projetée de la mesure, c’est-à-dire la « période d’octobre à décembre 2020 », laisse penser que l’abandon consenti pourrait se limiter au tiers du loyer pendant les trois mois !
Sur ce point encore, le cabinet gobert & associes conseille la plus grande prudence.
Voir exemple ci-dessous
. Quid de la situation du bailleur qui planifierait d’abandonner un mois de loyer par tiers en octobre, novembre et décembre ? Espérant ainsi satisfaire la condition d’abandon d’un loyer complet sur la période de trois mois, il perdrait en réalité tout le bénéfice de l’opération si une reprise anticipée de l’activité de son preneur était décidée en décembre ?
En effet, si le mois de décembre marquait, pour certaines branches actuellement fermées, un retour progressif à l’activité (On pense notamment aux hôtels pendant la période des vacances de noël), alors le bailleur serait tout simplement dans l’impossibilité de consentir un nouvel « abandon de loyer éligible ».
Dès lors, ce bailleur aurait renoncé définitivement à 2/3 d’une mensualité sans en retirer aucun avantage !
[i] Extrait du compte-rendu de la conférence du 29 octobre.
[ii] Source : ministère de l’économie, des finances et de la relance.
[iii] Vidéo de la conférence accessible ici : gouvernement.fr – intervention de M. Le Maire à 45 :00.
[iv] Les Echos – Capital – La Voix du Nord – BusinessImmo – MVVA –